La première chose que vous remarquerez dans Renoise c'est que globalement, la partie la plus centrale et la plus importante de son interface n'est pas "graphique", mais "alpha-numérique". Le terme alpha-numérique signifie que vous allez y trouver des nombres bizarres composés de chiffres mais aussi de lettres de l'alphabet. La seule petite difficulté que vous rencontrerez avec la première utilisation de ce logiciel est précisément située là : il faut comprendre à quoi correspondent ces lettres et ces chiffres. Et une fois que c'est fait, apprendre le reste va aller assez vite.
1. Utilisation du clavier de l'ordinateur comme un clavier musical
Renoise est capable de considérer que le clavier de votre ordinateur est un clavier "musical", par lequel vous pouvez donc jouer des mélodies, et aussi rentrer rapidement vos notes de musique. Dans ce manuel, on va l'appeler "clavier AZERTY". Grâce à lui, vous pouvez saisir des notes sur une gamme de deux octaves et demie ; vous pouvez également rapidement changer d'octave :
Si vous avez un clavier MIDI, sous la forme de clavier maître ou de synthétiseur, alors il est préférable de jouer vos notes via ce clavier MIDI. (Entre parenthèses, pour configurer ce clavier MIDI, il faut aller dans la section "MIDI Master Keyboard" du Menu Edit > Preferences.). Mais pour revenir au clavier AZERTY, disons donc, que cela se passe comme si l'appui sur des lettres alphabétiques d'une machine à écrire, avait pour conséquence l'activation de notes de musique.
2. Comment Renoise note les notes et les instruments
Lorsque vous souhaitez enregistrer les notes, avec votre clavier AZERTY ou votre clavier MIDI, vous vous apercevrez que Renoise n'écrit pas Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si. Il ne dessine pas non plus les notes graphiquement comme s'il gérait une partition de musique classique... à la place il écrit des C-4, D-4, E-4, F-4, G-4, A-4, B-4.... non pas horizontalement, mais verticalement !
C'est là un format d'écriture musical de type anglo-saxon, la première lettre représentant la note, et la seconde représentant l'octave sur lequel elle est jouée (le logiciel vous propose 10 octaves en tout). Si vous tapez sur une touche "noire", vous déclencherez un dièse # qui sera signifié entre le nom de la note et le numéro de l'octave, exemple : D#5, pour Ré dièse, cinquième octave. Donc une bonne partie des informations qui sont situées sur la partie centrale de l'écran, en particulier toutes celles qui sont à gauche des colonnes : sont simplement des notes de musiques.
A droite des notes de musiques, vous avez d'autres numéros : ce sont tout simplement les numéros des instruments de musiques dont on actionne les notes. Le nombre 00, représente par exemple le premier instrument chargé en mémoire. Le numéro 01, représente le second, etc...
3. Le mode Hexadécimal
Tout d'abord, je pense que ce sur quoi un novice va premièrement buter, c'est sur le mode d'affichage hexadécimal.
J'ai moi-même aussi été un peu surpris par ce mode d'affichage au premier abord. Je connaissais ce mode via ma calculatrice scientifique programmable, utilisée au Lycée. Mais je n'avais pas vraiment pris l'habitude de ce mode car rien dans mon quotidien ne me poussait à m'en servir... avant l'apparition des trackers dans ma vie de geek. En effet : la quasi totalité des valeurs numériques visibles sur l'écran d'un tracker, est donnée en mode hexadécimal. Pour comprendre la raison de ce choix il faut en fait effectuer l'archéologie du système des Trackers, qui prend sa source en... 1987.
Avant l'apparition des Trackers, les ordinateurs pouvaient piloter des instruments MIDI externes, ils n'avaient donc pas à calculer et à mixer les sons en interne avec l'aide de leurs micro-processeurs. Le son des synthétiseurs externes était rerouté sur des tables de mixages de studio. Le premier Tracker a brisé cette logique en faisant que le mixage des sons est réalisé "en interne". Cependant, les micro-ordinateurs d'alors n'avaient pas des résolutions graphiques très avancées, et surtout, leur puissance de calcul était très limitée comparativement à ce qu'on fait aujourd'hui. Vu que les premiers Trackers calculaient le son final du morceau en interne au lieu de piloter des instruments MIDI externes, il fallait impérativement trouver le moyen de réserver toute la puissance de calcul et le maximum de mémoire sur le mixage du son, et pour cela, trouver l'interface la plus compacte possible.
Exit donc les interfaces trop graphiques, qui proposent des partitions classiques, avec des portées, des clés de sol et de fa, etc... Exit la gestion des effets sonores, avec des courbes en 2D... Tout cela exige une interface multi-fenêtrée, certes simple d'accès et agréable, mais qui prend beaucoup trop de ressources système et en laisse beaucoup moins pour "calculer" correctement les effets sonores à appliquer sur les échantillons en mémoire.
Karsten Obarski, le concepteur du premier tracker, (The Ultimate SoundTracker) a fini par opter pour une interface donc plus "numérique" que "graphique", d'une part, et puisqu'il fallait la rendre plus compacte et optimiser le moindre espace pour y afficher les valeurs numériques, c'est le mode "hexadécimal" et pas décimal qui a été choisi.
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En effet, si par exemple vous souhaitez afficher la valeur 128 en mode décimal, cela prend l'espace de 3 caractères sur l'écran.
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Or, affichons la même valeur, mais en mode hexadécimal, on a en retour 80, soit deux caractères seulement.
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Même chose pour les petites valeurs : le chiffre 15 s'écrit F.
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On a par conséquent une réduction de place de l'ordre de 30% à 50%.
Lorsqu'il faut aligner en parallèle des colonnes audio bourrées d'effets sonores et de valeurs correspondantes, ce passage au mode hexadécimal s'avère très économique. On comprend dès lors que ce mode hexadécimal bien qu'imposant aux novices une petite gymnastique cérébrale pour la conversion des valeurs, a permis de conserver sur un seul et même écran toutes les informations utiles, de minimiser l'usage de fenêtres flottantes et autres contrôles graphiques, et de conserver un maximum de rapidité pour le traitement sonore des échantillons.
4. Apprendre à compter sur une base 16
Alors concrètement, comment déjà compter en mode hexadécimal ? On a tous appris à compter en partie avec les doigts de la main, à partir de séquences de 10 nombres, 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10, d'où l'aspect familier de ce type de décompte. Quand vous voulez compter jusqu'à cinq, il vous suffit de vous arrêter aux doigts d'une seule main. Mais imaginons que l'espèce humaine n'ait pas eu 10 doigts, mais 16, soit deux mains dotées chacune de 8 doigts(...).
A ce moment là, une séquence numérique de base complète ne s'arrête donc pas à dix nombres, mais à 16. Dans ce cas, le mode hexadécimal doit afficher les nombres différemment, il compte jusqu'à 8 dans la main gauche, et finit avec la main droite mais il manque après le chiffre 9 de nouveaux symboles, pour arriver à la valeur 15... Alors pour cela, on remplace les valeurs 10, 11, 12, 13, 14, 15 par les lettres de l'alphabet ABCDEF. Et pour la seizième valeur, on fait comme avec le mode décimal, on rajoute le shifter mathématique 0, pour boucler et produire l'incrément de la séquence.
Logiquement, une séquence numérique affichée en mode hexadécimal donne :
hexa : 0-1-2-3-4-5-6-7-8-9- A- B- C- D- E- F - 10...
déci : 0-1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12-13-14-15 - 16...
Et si l'on utilise les doigts d'une main composée de huit doigts, pour compter jusqu'à 31 on fait :
Avec un tel système, et armé d'une calculatrice capable d'effectuer rapidement les conversions de mode, on arrive donc à se constituer des repères mentaux.
Par exemple, si un volume de note MIDI est établie sur une marge de valeurs allant de 0 à 128 en mode décimal, alors donnée en mode hexadécimal, le volume maximum sera de 80. Diminuer le volume de moitié, forcément, fera que la valeur du volume en décimal sera de 64, mais en hexadécimal il faudra mettre : 40 à la place de 64. Et ainsi de suite.
Il vous suffit d'un peu de pratique pour rapidement établir mentalement un ensemble de correspondances, par exemple, entre valeurs allant de 00 à 128 (00 à 80), puis de 128 à 255 (cette dernière valeur en mode hexadécimal est FF).
Si vous avez besoin de vous habituer à la conversion des valeurs, vous pouvez par exemple, sous Windows, utiliser la calculatrice fournie avec le système d'exploitation, et la lancer en la mettant en mode d'affichage "Programmeur". Vous trouverez sur la gauche toutes les bases utilisées en mathématiques, soit :
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la base décimale que vous connaissez déjà (base 10), mais aussi,
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l'hexadécimale (base 16) celle qui nous concerne, mais aussi,
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la base Octale (base 8) ou même
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binaire(base 2, donc des valeurs affichées en suites de 0 et 1).
Dès que vous introduisez une valeur dans une base vous pouvez la convertir à la volée en cliquant sur le bouton d'une autre base.
Ou encore, vous pouvez installer l'outil suivant fait à partir d'un langage de script que Renoise peut interpréter : Hex-Dec Converter, en le glissant-déplaçant sur l'interface de Renoise, après l'avoir téléchargé.
5. Résumons
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pour que votre ordinateur ait plus de puissance pour traiter l'audio, Renoise affiche des informations plus alphanumériques que graphiques
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en outre le mode hexadécimal fait que les valeurs de 10 à 15 s'écrivent ABCDEF, et prennent donc moins de place
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et le mode d'écriture musical choisi, affiche les notes de musiques comme CDEFGAB,
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ces notes sont entrées sur un clavier d'ordinateur sur lequel il est écrit AZERTY,
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le tout sur une partition sonore, qui défile de bas en haut, et pas de gauche à droite.
On comprend pourquoi le tout premier tracker (The Ultimate SoundTracker) a pu dérouter ses premiers utilisateurs. Il en a d'ailleurs résulté que son exploitation commerciale a été compromise, probablement par l'aspect trop radical du concept. Mais, reconnaissons que, passé ce premier contact qui semble très "alpha-numérique", et une fois intégré le mode hexadécimal, vous ouvrez la porte à des musiques impossibles à faire avec d'autres logiciels, plus rapidement, plus efficacement, et avec un niveau de contrôle et une précision redoutables.
Dites vous bien que l'utilisation de ce mode hexadécimal est un prix à payer bien maigre, par rapport aux heures de satisfactions que vous procureront Renoise.